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S’engager dans des études

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Mieux se connaître, pour mieux s’orienter : l’expérience de l’Ennéagramme pour les jeunes en Belgique, entretien avec Isabelle Arimont.

Isabelle est criminologue, coach, formatrice et professeur de danse. Elle a enseigné la psychologie durant 20 ans à des jeunes. Elle pratique l’Ennéagramme depuis 2012 en écoles et avec notre partenaire HPEI en Belgique, où elle dirige le pôle Orientation des Jeunes.
Entretien réalisé par Isabelle Pruvot

Isabelle, tu accompagnes les jeunes dans leur orientation avec l’Ennéagramme depuis des années, quel est ton constat ?

Les jeunes ont d’énormes difficultés à se projeter dans la réalité. Le monde qui les entoure est de plus en plus complexe, il existe plus de 13 500 métiers répertoriés à ce jour, leur perception de la réalité est donc forcément très partielle. Par exemple, je suis toujours frappée de voir à quel point une série TV peut transformer ou fausser leur vision de la réalité…
Le challenge pour moi est vraiment de pouvoir les aider à s’imaginer et se projeter dans une réalité la plus juste possible.

Quel est leur rapport à l’engagement ?

La plupart du temps, le constat est évident, ils n’ont pas envie de se sentir enfermés et de se positionner. Aujourd’hui et encore plus demain, les changements de carrière seront multiples. Ils sont parfaitement conscients de cela. Choisir des études généralistes offrant de nombreux débouchés est une façon de ne pas s’engager en gardant un maximum d’options ouvertes.
De plus, la société actuelle revendique une image de liberté, où tout est toujours possible. L’engagement à long terme s’oppose à cette image.

Expriment-ils une forme d’angoisse associée à cet engagement ?

Oui, et cette angoisse est différente selon les bases Ennéagramme :

  • La base 1 va avoir peur de se tromper,
  • Le 2 va avoir peur de décevoir les gens qu’il aime,
  • Le 3 va craindre de ne pas être suffisamment dans la lumière,
  • Le 4 de ne pas être suffisamment lui-même,
  • Le 5 de ne pas être nourri mentalement, ou d’être envahi,
  • Le 6 de manquer de prévisibilité,
  • Le 7 d’être enfermé ou limité dans ses choix,
  • Le 8 qu’on prenne le contrôle sur lui,
  • Et enfin le 9 qu’il y ait des tensions, des conflits, de se fondre, se perdre.

Il y a toujours une angoisse derrière l’engagement, mais j’observe aussi beaucoup de pression parentale. On peut donc se poser cette question essentielle : est-ce bien mon engagement que je poursuis, ou celui qui a été choisi pour moi ?

Peut-on parler de conflit de loyauté ?

Oui tout à fait. Certains jeunes sont parfois tellement pris dans ces conflits qu’il est véritablement impossible pour eux d’échapper à l’injonction parentale. C’est particulièrement difficile pour les bases 2, 3, 9 et 6 car elles sont les plus sujettes à de tels conflits. Écouter leur petite voix leur demande une trop grosse prise d’autonomie par rapport au regard de l’autre.

Comment peut-on les aider, et quelles techniques utilises-tu pour les accompagner ?

Je les aide à dégager des critères qui sont indispensables à leur épanouissement. Ces critères sont à la fois assez larges mais précis également.

Par exemple, si un jeune me dit qu’il veut “un métier qui bouge”, je lui demande de me préciser : « un métier qui bouge comment ? ».
Vendre c’est bouger, mais grimper dans les arbres c’est bouger d’une autre manière ! Ou s’il me dit qu’il veut “un métier varié”, je l’amène à préciser : « varié comment ? ».

Parfois, lorsque je sens qu’il y a un réel blocage, je les invite à trouver une activité en dehors qui les épanouisse et les aide à respirer, afin qu’ils puissent garder en eux la conscience de leurs besoins. C’est compliqué de trouver son propre engagement, car c’est difficile de comprendre les enjeux et la réalité du terrain.

J’ai accompagné de nombreuses jeunes filles qui souhaitaient devenir institutrices parce qu’elles aimaient les enfants. Mais au bout de 2 semaines de stage en école maternelle, 8 sur 10 me disaient : « je sais maintenant que ce n’est pas pour moi ! ».
Tant qu’elles n’avaient pas un pied dans la réalité, elles ne pouvaient pas sentir les interactions et les véritables enjeux du métier.

Pour les aider, je travaille donc beaucoup avec des photos de situations professionnelles. Je fais aussi des exercices de PNL pour leur faire visualiser l’environnement, entendre les sons, sentir les sensations, les odeurs. Si quelqu’un veut être cuisinier par exemple, c’est très important de pouvoir l’aider à s’immerger dans l’environnement d’une cuisine professionnelle. Aimer faire la cuisine, ce n’est pas la même chose que travailler au sein d’une brigade dans un restaurant étoilé …

L’idéal est toujours de pouvoir tester le milieu professionnel dans lequel ils souhaitent s’engager. Ce n’est pas toujours possible, hélas, et c’est pourquoi je rencontre de plus en plus de jeunes qui viennent me voir après leurs études, leur diplôme en poche. Ils ont déjà essayé un premier job, et se rendent compte que ce n’était pas la bonne voie pour eux. Parfois, ils ont été bien orientés, mais n’ont pas suffisamment tenu compte de leurs critères personnels.

Je pense notamment à une jeune fille, base 1 social, profil Conventionnel dans le RIASEC, ISTJ en MBTI. Après des études de droit, tout à fait en conformité avec son profil, elle a a décroché un premier poste dans une étude notariale. Le hic est que c’était vraiment chacun pour soi, il n’y avait aucun esprit d’équipe. Elle s’est retrouvée en burn-out au bout de 3 mois. Son profil de compétences collait parfaitement au métier choisi, mais il manquait la dimension sociale, l’esprit de solidarité.
Cette prise de conscience a été essentielle pour elle ! Elle a donné sa démission et a retrouvé ensuite un poste dans un office notarial qui reconnaissait ses valeurs sociales.

Cette approche par critères permet donc d’isoler les blocages ?

Absolument ! Si on distingue bien les critères, en comprenant que certains sont de l’ordre du comportement, et d’autres des centres d’intérêts ou des motivations, on peut alors ouvrir la porte à de nouvelles possibilités.
Nous ne sommes plus obligés de remettre tout en question : on repère ou on isole les éléments qui ne vont pas, pour voir par quoi les remplacer, voire partir vers une autre combinaison.

Comment les aides-tu à mieux se connaître et à mieux comprendre leurs modes de fonctionnement ?

Je privilégie l’approche en groupe, car il y a beaucoup d’interactions, de confrontation. Ils sont obligés de s’impliquer davantage face à des pairs qui leur donnent du feedback.
Au fond, avec le recul, je constate que les jeunes ont juste besoin d’être valorisés dans ce qu’ils font… Une approche basée sur les compétences nous dit : si tu es bon en maths, alors tu peux faire une école d’ingénieurs, si tu es bon en sciences, tu peux faire médecine etc.., Avec une telle logique, les
jeunes ne peuvent pas s’épanouir.

A l’inverse, quand on leur permet de toucher à leur fonctionnement, lorsqu’ils se découvrent eux-mêmes, c’est un peu comme une naissance, c’est vraiment très émouvant.
L’Ennéagramme reste l’ancrage le plus révélateur. Sans ancrage solide et connaissance de soi, un projet d’orientation professionnelle ne peut pas fonctionner correctement.

Comment es-tu arrivée à accompagner les jeunes ?

Après un cursus de droit peu passionnant, j’ai décidé de me lancer dans des études en criminologie. En parallèle j’ai commencé à m’investir dans l’aide à la jeunesse. En bonne base 1, j’étais très motivée et j’obtenais de bons résultats. On m’a alors proposé de faire de la recherche. Mais rédiger des rapports de centaines de pages, ce n’était vraiment pas mon truc…

Un jour, par hasard, une école m’a contactée pour enseigner la psychologie. A la seconde où je me suis retrouvée devant ces jeunes, je me suis dit, “ça c’est ma place ! Être en relation, créer un lien et faire un bout de chemin avec eux ! ”
J’ai adoré donner des cours et je me suis battue pour qu’ils puissent avoir des stages, pour qu’ils puissent se confronter à la réalité.

J’ai fait cela pendant 19 ans, et puis j’ai découvert l’Ennéagramme.
Je me suis dit alors qu’il fallait absolument que les jeunes puissent profiter de cet outil prodigieux, tant l’Ennéagramme fonctionne bien pour eux. J’ai compris que ma mission était de le leur transmettre…
J’ai donc décidé d’arrêter l’enseignement il y a 3 ans pour me consacrer exclusivement au pôle Orientation chez HPEI.

Quelques mots sur la journée du 24 juin qui a eu lieu en Belgique cette année ?

C’était vraiment un coup de folie. Nous avons formé une trentaine de formateurs, déjà certifiés en Ennéagramme, à la méthode «Projeter les films de ma carrière ». Nous leur avons demandé : “êtes-vous prêts à ce que le 24 juin soit une journée d’orientation gratuite partout en Belgique ?”
15 villes nous ont suivis, et on a créé un site avec des outils pédagogiques.
300 jeunes ont participé à cet événement. C’était formidable de les voir chercher, bouger, regarder les vidéos que nous avions préparées…

Qu’est ce qui te paraît essentiel pour mieux les accompagner aujourd’hui ?

Je suis convaincue qu’il faut faire bouger les jeunes dans leurs corps. Je fais très attention à ce qu’ils soient connectés à leurs sensations physiques. Notre mode de vie est très sédentaire, les jeunes passent toutes leurs journées à l’école, assis et coupés de leur corps. Ils perdent cette connexion-là.
D’une manière générale, lorsque je fais un parcours d’orientation avec les jeunes, ce que je remarque le plus, c’est que ce qui les impacte le plus et le plus profondément, c’est l’Ennéagramme. Je reçois beaucoup de messages très touchants des jeunes qui me disent : « Je comprends enfin ce que je suis ». Les vidéos de panels que nous avons tourné avec HPEI sont extraordinaires, leur réactivité est d’une clarté ! Ils ont déjà en eux les clés pour avancer et se comprendre.

J’ai le souvenir d’un accompagnement d’une jeune fille, un des pires moments de ma vie… car ce que je faisais émerger ne correspondait pas à ce qu’elle voulait. Elle ne faisait que pleurer. Je me sentais totalement impuissante, je ne pouvais pas l’aider ! Elle me disait : « je suis perdue, je repars totalement perdue », j’étais désespérée !
Deux ans plus tard, j’ai croisé sa mère par hasard à une conférence et elle m’a dit à quel point cet accompagnement l’avait vraiment aidée. Elle avait réussi à passer le cap, et avait trouvé une voie dans laquelle elle se sentait totalement épanouie.

Ce qui est amusant, c’est qu’on ne sait jamais évaluer l’impact de notre démarche. C’est un sacré pari, et c’est bien souvent la qualité de la relation que l’on parvient à établir avec eux qui crée un vrai levier.

Par exemple, je leur demande de me tutoyer, parce que je leur explique d’emblée que je ne suis pas une experte, et que je vais jouer à la petite martienne naïve, qui ne comprend rien à rien, et qui veut vraiment comprendre leur monde… Au début c’est difficile, ils m’appellent Madame !
Puis petit à petit les interactions deviennent plus naturelles. On peut alors se confronter, rire…
Certains viennent me voir en me disant : « le conseiller d’orientation m’a dit que je devais faire ça… » Pour moi c’est vraiment difficile à entendre.

Le mot de la fin ?

Je rêve d’un monde futur où l’on donnerait à chaque jeune les clés pour se connaître !
Et je suis convaincue, après toutes ces années d’expérience, que l’Ennéagramme est vraiment la meilleure approche pour y arriver. <∫ >

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