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Décoder la culture d’une entreprise à travers ses célébrations

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Les célébrations font partie intégrante du mode de fonctionnement d’une organisation. Elles constituent pour les chercheurs et les analystes un champ extraordinaire d’observation et de compréhension de la culture et du système de valeurs d’une entreprise donnée – comme dans une famille. Ce qu’on célèbre, la manière dont on le fait à titre individuel et collectif, éclaire aussi ce qui est valorisé et recherché par l’entreprise – parfois inconsciemment.

Bienvenue dans un panorama de quelques cultures… familières ?

Dossier réalisé par Marie-Noëlle Borel

“Comme dans une famille, l’entreprise donne à voir sa culture profonde et son histoire à travers ses célébrations

Culture dominante : tribu et sécurité

Dans ces entreprises, les célébrations sont essentiellement des réunions à caractère familial : la présence des enfants et des conjoints est requise, par exemple autour d’un Arbre de Noël ou d’un dimanche au vert.
L’entreprise est souvent incarnée personnellement par son ou ses fondateur(s) et joue un rôle protecteur, presque parental, auprès de ses collaborateurs.
Les relations d’entraide et les liens de réciprocité élevés constituent le socle du système de valeurs de l’organisation, quel que soit son degré d’ancienneté.
Ce type de culture exprime naturellement ce que les interculturalistes nomment une orientation vers le collectif, perçu par chacun comme plus important que l’expression des individualités.
On peut également y trouver des manifestations d’ordre religieux ou spirituel, coexistant pacifiquement avec le business lors des célébrations.

Faire partie d’une communauté

« Notre entreprise industrielle appartient à la même famille depuis 5 générations. La croissance, l’export et le développement de nouveaux marchés à l’international n’ont guère changé les habitudes : la fête annuelle de l’entreprise est un événement incontournable, à mi-chemin entre réunion de famille et hommage aux anciens ! Nous venons tous avec nos familles, tout le monde se connaît et échange les nouvelles de l’année écoulée.
Les nouveaux sont présentés à tout le personnel par leur parrain ou marraine dans l’entreprise. Pour eux, le président raconte chaque année l’histoire de la boîte, les crises traversées, comment on les a surmontées tous ensemble, sans jamais licencier et parfois en acceptant des
réductions de salaires.

Ça peut sembler oppressant, ou d’un autre âge quand on arrive, mais pour nous qui appartenons à cette communauté depuis longtemps, c’est à chaque fois très émouvant. »

« Une anecdote arrivée en Inde il y a quelques années. Après la création d’une filiale à Bangalore pour une PME française, la direction a procédé au recrutement de plusieurs collaborateurs locaux, ceux-ci étant représentatifs des différentes religions du sous-continent indien.
Il a alors fallu pourvoir cette nouvelle équipe en ordinateurs. Une fois les ordinateurs livrés et installés, un recruté hindou a souhaité bénir son nouvel outil de travail afin qu’il soit placé sous les meilleurs auspices et ne tombe pas en panne. Il a donc installé une statue de Ganesh sur l’écran ainsi que des bougies et de l’encens avant de bénir l’ordinateur.
L’écran s’est rapidement retrouvé partiellement couvert de cire, tout en restant en parfait état de marche. L’histoire ne dit combien de temps il a tenu… »

Culture dominante : hédonisme et action

Dans ces entreprises, l’essentiel est que la fête soit inoubliable ! Musique, alcool, repas pantagruélique, voire plus si affinités…
On s’amuse, on se lâche, il n’y a plus d’organigramme pour un soir, « ce qui se passe à Vegas reste à Vegas ». La transgression peut faire partie intégrante de la célébration en tant que rituel initiatique. De fait, « Avoir fait les 400 coups ensemble » constitue un liant fort dans un groupe social. Les membres vont se reconnaître et se valoriser par leur capacité à repousser des limites, et par extension, à conquérir de nouveaux marchés ou de nouveaux territoires.

« J’ai bossé il y a plusieurs années dans une boîte où les soirées de Noël étaient connues pour sortir du cadre, et pas qu’un peu. Quand je suis arrivée en juillet, on a commencé à m’en parler, sans me donner des détails, mais avec beaucoup d’allusions, peut-être pour voir comment je réagissais. Je me suis dit « ok, ça doit boire pas mal, draguer un peu lourdement…» comme ça peut arriver ailleurs. Le soir venu, j’ai compris que j’avais été super naïve : c’était vraiment très chaud. Alcool, tenues légères, gogo danseuses et chippendales, salons privés, cocaïne, le tout visiblement encouragé par le management. Et le lundi matin, personne ne semblait mal à l’aise pour autant, bien au contraire, on se racontait les meilleurs moments en se montrant les photos. »

Culture dominante : tradition et respect des règles

Ces organisations valorisent d’abord leur solidité, et s’attachent à célébrer le modèle social et la structure qui leur ont permis de durer et prospérer au fil des années.

Le respect de la hiérarchie et des règles est au cœur de la célébration, qui prendra – plus souvent qu’ailleurs – la forme d’un rituel formalisé : dîner assis avec placement imposé et représentation hiérarchique appropriée aux différentes tables ; discours faisant fréquemment référence à la mission de l’organisation comme un élément de fierté ; loyauté, engagement, discipline et respect des règles. Ici, ce sont les capacités à « faire corps » et à « tenir son rang » qui sont valorisées, en échange de l’appartenance à un groupe social perçu comme prestigieux et supérieur aux autres.
De nombreuses institutions, corps d’état ou grands groupes internationaux manifestent encore aujourd’hui des éléments forts de cette culture. Outre l’orientation vers le collectif, les analystes culturels y observent souvent un rapport relâché par rapport au temps – passé, présent, futur – dans les modes de fonctionnement.

Faire corps et tenir son rang

« En Corée du Sud, à un poste de VP dans la filiale services financiers d’un chaebol (ndlr : conglomérat industriel), je représente le petit 20% de ma banque française. La première année j’assiste à l’AG du groupe, puis je suis emmené à la soirée post-AG, sans beaucoup d’explications. C’est une grande salle isolée, en sous-sol, dans un restaurant discret.
Nous sommes une vingtaine, exclusivement des hommes, assis par terre autour d’une grande table. Sans un mot, le plus jeune participant verse le soju (ndlr : alcool de riz coréen) dans un verre et le tend avec respect au président, en baissant les yeux. Le président boit, et tend ensuite le même verre à son second immédiat dans la hiérarchie, qui fait à son tour la même chose, jusqu’à ce que tout le monde ait bu dans le même verre. Et on recommence. J’ai ainsi appris que j’étais situé au 4è rang, un honneur pour un étranger !
»

Culture dominante : performance et croissance

Ces organisations célèbrent d’abord la performance – étant entendu que l’orientation vers la performance individuelle ou collective peut varier selon les pays et leurs cultures. Ainsi monteront sur le podium pour recevoir leur prix un Employé de l’Année, un Manager de l’Année ou encore une Equipe de l’Année, mais prix et podium il y aura obligatoirement ! La performance est généralement adossée à une grille complexe d’indicateurs permettant à un jury d’évaluer et de comparer les résultats.
Ces organisations valorisent la compétition interne – parfois renommée esprit entrepreneurial ou intrapreneurial – et la capacité à “dépasser les objectifs”, innover, et bien sûr à obtenir des résultats visibles.
Tous les shows dits « à l’américaine », Oscars, Grammy Awards, concours de beauté… sont issus de cette culture, et de nombreuses entreprises s’en inspirent encore, tant elle reste omniprésente dans nos codes professionnels occidentaux.
Pour les interculturalistes, les deux piliers sous-jacents à cette culture sont d’une part l’orientation vers l’individu – seul acteur et responsable de sa réussite – et d’autre part le schéma mental de « rareté », également bien connu des économistes : il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur, et c’est la rareté des ressources qui va justifier la compétition.

Etre meilleurs que les autres

« Chez nous, la soirée de fin d’année est un événement incontournable. C’est un véritable gala, en tenue de soirée, dans un des plus beaux lieux de Paris. La pression commence à monter 3 mois avant, on surveille notre classement, on garde des gros contrats sous le coude pour les déclarer au dernier moment et prendre les concurrents (internes…) par surprise, on est à l’écoute d’infos sur les autres commerciaux, pour savoir si on a une chance d’être nominé ou pas.
Être nominé, à titre individuel ou pour son équipe, c’est plus que gagner le voyage, qui fait déjà rêver tout le monde : c’est un statut, c’est une fierté, ça veut dire qu’on a été meilleurs que les autres, qui sont déjà tous très bons ! »

Culture dominante : inclusion et harmonie

L’important ici est de se retrouver tous sur un même pied d’égalité. Cela peut être une table ouverte chez l’un ou l’autre membre de l’équipe, sans hiérarchie ni formalisme. Tout un chacun apporte quelque chose, on célèbre la diversité, la confiance mutuelle et la qualité des liens humains qui constituent le socle de valeurs, et le ciment de l’organisation.
On trouvera aussi souvent des manifestations de la connexion à la nature, que le buffet soit bio ou que la soirée se déroule en plein air, dans un endroit au vert ou au bord de la mer.
Cette « culture de la confiance » émerge depuis maintenant quelques années dans nos sociétés et dans le monde professionnel, mais relève encore bien souvent de l’injonction ou de l’affichage de valeurs de surface… Serions-nous prêts par exemple à importer l’exemple finlandais ci-dessous ?

La transparence favorise la confiance

« Chaque 1er novembre, la Finlande célèbre une journée particulière, baptisée Journée Nationale de la Jalousie par les médias étrangers. C’est le jour où l’administration fiscale publie le revenu imposable de chaque citoyen. Elle accueille ainsi dès 8h du matin une foule de journalistes dans ses locaux.
Esa Saarinen, professeur de philosophie à l’Université d’Aalto (Helsinki), voit cela comme « une forme positive de commérages ». Qui a gagné plus que l’année dernière ? Quel capitaine d’industrie a dû vendre son entreprise ? Quelle célébrité est ruinée, ou ne paye pas ses impôts ?

Si cette pratique peut faire sursauter ailleurs, la plupart des Finlandais estiment qu’elle permet de résister à l’augmentation des inégalités salariales entre les employés, mais aussi entre les salariés et les dirigeants. La transparence favorise la confiance.


Cette journée est aussi l’occasion de célébrer les entrepreneurs à succès : par exemple, encore cette année, les fondateurs et propriétaires des jeux vidéo SuperCell occupent 5 places parmi les 10 premiers revenus ou contributions fiscales. SuperCell est une entreprise dont le directeur général, Ilkka Paananen, s’est félicité d’avoir atteint le record historique du plus gros montant de taxes sur les revenus du capital en Finlande. « Nous avons reçu beaucoup d’aide de la société finnoise, maintenant, c’est notre tour de lui rendre quelque chose. » <∫ >

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