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Analyser ses rêves

Publié le

Geneviève Cailloux est, avec Pierre Cauvin, une des pionnières des typologies jungiennes en France.
Depuis plus de 40 ans, leur approche combine les typologies de la personnalité, le dialogue intérieur et le travail sur les rêves.

Entretien réalisé par Christophe Thibierge.

“L’analyse des rêves, c’est totalement écologique : on peut obtenir un résultat prodigieux à partir de peu de chose.”

Bonjour Geneviève ! Pouvez-vous commencer par nous parler de votre parcours ?

J’ai été élevée dans une famille plutôt conservatrice où on pensait que « la psychologie, c’est pour les fous », donc c’était pas gagné !

On n’avait pas le droit de parler à table (les filles encore moins…) donc j’en ai profité pour observer “la comédie humaine”.
Très tôt, je me suis posé des questions existentielles sur la connaissance de soi. Et donc, soit je devenais folle, soit je commençais une recherche – qui ne m’a jamais quittée.
J’aurais dû logiquement faire des études de psycho, mais compte-tenu de mon contexte familial, je n’ai pas pu faire ce que je voulais, et je me suis retrouvée à faire des études d’anglais qui m’ont beaucoup ennuyée.
En fait, je me suis rendue compte après coup que ma bande de copains de l’époque, c’était tous des psys ! Et cela a été vrai toute ma vie.
J’ai fait de l’enseignement – qui ne me plaisait pas – et ce qui m’intéressait, c’était ce qu’il y avait à côté : j’ai été conseillère conjugale au planning familial pendant 10 ans ; j’ai animé une association de jeunes à Genève, où j’ai organisé des formations collectives ; parallèlement, j’ai suivi l’enseignement de Karl Dürckheim sur le zen, à Mirmande ; j’ai aussi eu des sessions d’analyse avec Ignace Tauber, ami et élève de Jung, j’ai donc vécu un lien presque direct avec Jung. Et comme j’ai fait une analyse jungienne, je connaissais la typologie de Jung avant de découvrir le MBTI – qui à l’époque était un outil totalement inconnu.

C’est en 1985 que Pierre Cauvin, revient avec un truc intéressant : comment travailler la cohésion d’équipe avec le MBTI.

On a tout de suite trouvé ça génial, car cela permettait d’opérationnaliser une typologie un peu abstraite. L’organisme qui avait la licence du produit n’en faisait rien, donc nous avons offert de le traduire en français pour leur rendre service. De là, nous avons voulu approfondir le modèle, et sommes allés aux États-Unis pour rencontrer Mary McCaulley qui avait travaillé avec Isabel Myers.

Puis, nous avons lancé des formations à la typologie jungienne en France avec le MBTI de 1987 à 2006, puis avec notre questionnaire CCTI depuis 2006.
Nous avons ensuite développé une démarche active (le Dialogue Intérieur de Hal et Sidra Stone) qui était pour nous le chaînon manquant qui manquait à la typologie. Ce travail est devenu central dans notre approche de la psyché.

Enfin, nous avons lancé notre formation au coaching, dont nous accueillons la 23ème promotion cette année.

“Notre guide intérieur sait mieux que nous où aller”

Comment en êtes-vous venue au travail sur les rêves ?

J’y suis venue autant par mon analyse que par toutes sortes de séminaires aux États-Unis, notamment avec les Wyer, un couple d’analystes jungiens qui faisait du travail sur la self-differentiation, puis un mois à Bali avec une analyste jungienne autour du rêve, de l’art et de la culture balinaise.

J’ai fait une formation de gestalt thérapeute avec J. Ambrosi, et j’ai intégré le travail sur les rêves – dont Freud disait que c’est « la voie royale vers l’inconscient » – de manière progressive, y compris dans notre formation au coaching : tous les matins, on consacre 2 heures au partage des rêves, et on aide les participants à décoder leurs rêves.

Sur ce point, notre travail est très proche de ce que décrit Tess Castleman dans son livre : « Threads, knots, tapestry ». Dans un groupe, au-delà de l’histoire de chacun(e), il se crée une histoire commune, on rêve les uns des autres…
Et pour moi, l’analyse des rêves, c’est totalement écologique : on peut obtenir un résultat prodigieux à partir de peu de chose, il suffit de développer l’attention à soi-même.
En fait, on a un guide intérieur qui sait mieux que nous où l’on doit aller.

Comment se passe une séance de travail sur l’inconscient ? Qui sont vos clients ?

On peut travailler le rêve en Dialogue Intérieur. Pratiquement, tous les personnages de notre rêve sont des parties de notre personnalité.
Nous invitons donc successivement chaque partie du client à s’exprimer d’une place géographiquement différente. Cela lui permet de mieux comprendre la relation entre ces différents éléments de sa personnalité, en soulignant la différence entre le Moi – notre personnalité habituelle, notre Pilote automatique – et le Moi conscient, cette instance centrale qui fait le lien entre le Moi habituel et la partie inconsciente qui est refoulée par le Moi habituel.

Quand on travaille le rêve, on est complètement aligné, de manière extrêmement écologique : pas besoin d’un marteau pour écraser une mouche, il suffit de se reconnecter à son rêve et de laisser la pelote se dévider…

Pour nos clients, nous avons décidé il y a quelques années de nous recentrer sur ce qui nous plaît le plus et ce qui nous fatigue le moins – car sans surprise, si ça nous fatigue, c’est que ça n’est pas bon pour nous…
Alors que dans le passé nous nous sommes énormément déplacés dans les entreprises, désormais ce sont les membres de notre équipe qui s’en chargent.

Ici, à Vernou, nous accueillons des participants à nos formations ou des coachings individuels, et les clients sont principalement des gens d’entreprise.
Notre spécificité, c’est l’articulation entre personnel et professionnel : nous ne pourrions pas imaginer de laisser une partie de la personnalité à la porte, donc nous prenons tout ce qui fait la personne, ses relations privées comme professionnelles.
Nous recevons beaucoup de managers, de consultants, des gens qui sortent d’écoles de commerce, et aussi des profils plus atypiques.
Ce sont souvent des gens qui viennent en seconde partie de vie, mais il y a par ailleurs quelques jeunes qui ont terminé leurs études et qui décident finalement de s’orienter vers des chemins de développement personnel et d’accompagnement professionnel.
Depuis plusieurs années, nos formations sont parfaitement paritaires, donc 6 hommes et 6 femmes, et cela donne beaucoup de richesse et d’équilibre au parcours.

“Deux protagonistes à l’oeuvre”

Avez-vous des cas particuliers dont vous pourriez nous parler ?

J’ai accompagné des centaines de cas et de séances, donc il y a du choix !

Je pense à deux exemples.

Une femme INTP (Pensée Introvertie, Intuition Extravertie) travaillait le rêve suivant en Dialogue Intérieur : « Je vois un bébé coincé dans les tuyaux enchevêtrés d’un moteur tout noir et encrassé. Personne ne sait qu’il est là. Il va allumer une cigarette. Il est encore vivant mais, si personne n’intervient, il va étouffer et/ou exploser.

Ici, les protagonistes sont : les tuyaux du moteur (partie primaire) et le bébé (partie reniée). Les tuyaux du moteur encrassé font penser à la Pensée Introvertie, un peu mécanique, qui fonctionne en vase clos et sans limite ; elle emprisonne une autre partie plus sensible et vivante, son ombre (Sensation Introvertie et Sentiment Extraverti).

Le message du rêve est fort : il est grand temps que cette femme réalise qu’elle a aussi un corps et qu’elle en prenne soin, ainsi que de sa vie affective (son bébé intérieur), sans quoi tout va exploser. ..

Cette prise de conscience lui a sans doute évité un burn-out imminent. Aujourd’hui, elle a totalement rééquilibré sa vie.

Dans mon second exemple, il s’agissait d’une autre femme, ISTJ cette fois, passionnée par tout ce qu’elle commençait à découvrir en développement personnel.
Elle exposait le problème suivant : plus elle cherchait à être bienveillante, compréhensive et patiente avec ses enfants, plus elle pétait les plombs régulièrement, et elle culpabilisait à ce propos… Elle ne comprenait pas du tout ce qui se passait.

On l’a d’abord invitée à exprimer la partie bienveillance et respect de l’autre, qui avait des valeurs fortes : c’est en fait une manifestation de la fonction Sentiment Introverti (Fi), qui privilégie l’harmonie et la douceur, de manière quasi sacrée.

Évidemment, cette partie de sa personnalité était très choquée de ces colères.
Quand l’autre côté s’est mis à parler, la cliente a serré les poings, c’était la fonction Pensée Extravertie (Te) qui était en colère, avec des discours comme « il faut faire ce que je dis » et « c’est moi qui nettoie les dégâts faits par les enfants », soit une partie clairement STJ.

En fait, après ce travail, cette femme s’est rendue compte que la partie gentille avait des côtés dangereux, car elle l’empêchait de dire à ses enfants « maintenant ça suffit ». Et cela activait le retour de la partie refoulée (Te).

Au départ, la cliente s’était identifiée uniquement à son côté gentil. Or, plus elle essayait d’être gentille, plus l’autre côté se mettait en colère !

C’est important de prendre conscience de cette bilatéralité. La partie opprimée veut prendre sa juste place dans la psyché.
La colère – qui paraissait horrible à la première partie – venait de la partie reniée qui n’était pas prise en compte. Elle indiquait la voie, c’est-à-dire l’injustice qui est faite à la partie reniée. Et la partie reniée, c’est l’autorité, la rigueur, le respect. Or le meilleur parent, c’est celui qui arrive à concilier la bonté et la rigueur…
Dans ce cas, ce qui me plaît, c’est que la partie qui se prenait pour la meilleure est en fait celle qui créait le problème !

“Une tension permanente entre désirable et non-désirable”

Est-ce parce que l’une des parties était plus désirable socialement qu’une autre ?

Dans ce cas, oui. Mais dans d’autres cas, la partie primaire n’est pas forcément le désirable socialement. Par exemple, les INTP ont une partie primaire qui va vers la subversion, l’anarchisme… ce qui n’est pas du tout un désirable social !
En fait, il s’agit plutôt d’une tension permanente entre désirable et non désirable.
Donc c’est toujours intéressant de faire parler chaque partie. Le coach écoute sans aucun jugement ce que chaque partie a sur le cœur.
Le Moi conscient entend ce que dit chaque partie, autant la partie primaire que la partie reniée. Si l’on ne fait pas cette démarche, la partie primaire s’impose, mais elle finira par être blackboulée par la partie reniée.
C’est un peu comme la tapisserie de Pénélope : sans Moi conscient, chaque partie défait ce que l’autre fait.

Par sa posture, le coach induit chez le client une posture d’auditeur / médiateur.
En résumé, le client commence par exposer sa problématique – qui vient souvent de la partie primaire à laquelle il est identifié – puis il exprime ses différentes parties en se déplaçant ; ensuite le coach retrace le parcours, et le client prend conscience de son histoire, avant de revenir au siège central du Moi conscient.

Ce dialogue intérieur, est-ce qu’on pourrait dire que c’est comme vivre un rêve éveillé ?

Peut-être… Le client passe en effet dans une autre dimension, c’est presque un état modifié de conscience. Le coach écoute, sans aucun jugement
Le client peut se mettre à dire des choses qu’il aura oubliées en fin de séance. C’est pour ça que la présence du coach est importante : l’inconscient a pu se manifester comme dans un rêve, et on peut ne pas s’en souvenir au réveil.
La différence avec la « technique du rêve éveillé », c’est qu’un rêve éveillé peut être parfois construit par le conscient. Alors que partir d’un rêve qui a déjà eu lieu donne directement accès à toute la matière et l’énergie du rêve.

Justement, qu’en est-il de votre travail sur les rêves ?

Ce qui est génial, c’est que quand on a un rêve, on n’a pas à chercher une problématique : le rêve nous donne directement ce sur quoi on est en ce moment.
De plus l’inconscient est en avance sur le conscient, et il prévient souvent le rêveur d’un mauvais choix qu’il s’apprête à faire. Par exemple, à la suite de travaux réalisés dans notre appartement parisien, notre voisine du dessous nous a envoyé un référé affirmant que ces travaux avaient augmenté le bruit – alors même que nous avions demandé à l’entrepreneur d’y veiller.
Forts de notre bon droit, nous comptions nous défendre personnellement, quand un rêve m’a alertée que nous allions perdre. Nous avons alors fait appel in extremis à un avocat et bien nous en a pris !

Avec nos clients, nous travaillons à rester en contact avec l’énergie du rêve : le dessiner, le modeler, continuer à le travailler.
Certains rêves sont comme des bombes à retardement, il faut du temps pour dévider le fil. Des rêves marquants peuvent nous accompagner tout au cours de la vie, comme dans mon cas, avec un rêve travaillé avec Ignace Tauber dans les années 80.

Que répondez-vous à des objections fréquentes, par exemple “il suffit de lire un bouquin sur l’interprétation des rêves” ?

Je ne cherche pas à convaincre. Si ça amuse mon interlocuteur de lire un livre, qu’il y aille. Il y a des choses intéressantes comme par exemple dans les symboles, les mythes, les archétypes. Mais nous repartons toujours de la signification particulière que ces éléments ont pour le rêveur, et qui peut varier d’une personne à une autre.

Si quelqu’un vous dit “quand on rêve d’une tour, ça veut dire qu’un proche de notre entourage va mourir ” (exemple inventé) ?

Je dirai « Ah bon ? » et je serai curieuse de savoir ce qui lui fait dire ça !
Il y a tour et tour : donc, ce qui m’intéresse, c’est comment lui voit cette tour et quelles associations il fait avec cette tour particulière.
Donc on est un peu comme des chiens de chasse.

“Travailler sur ses rêves, c’est une hygiène de vie !”

En fait c’est l’opposé d’une traduction automatique ?

Oui, car ça suppose de rentrer dans la psyché d’une personne qui elle-même ne la connaît pas ! On est aux aguets : on cherche le petit bout de ficelle qui va aider la personne à se mettre sur la voie.

Les questions sont simples et variées : « Pourquoi ce rêve aujourd’hui ? Tes parents dont tu as rêvé, c’était quel genre de personnes ? Quelles sont les qualités de cet ami ? etc. »
L’idée centrale, c’est la notion d’intégration : les rêves, c’est ce qui fait prendre conscience.
Le rêve a souvent une fonction compensatoire : si vous allez trop loin d’un côté, il vous rappelle qu’il ne faut pas oublier l’autre côté. En règle générale, ça ne fait pas plaisir, parce que ça rappelle la partie oubliée.
C’est comme un rétroviseur, ou un GPS, c’est-à-dire un guide intérieur qui nous évite de partir toujours dans la même direction et qui montre d’autres choses.
Ça me fait penser aux rêves d’accident de voiture : quand la personne rêve qu’elle va trop vite, ou qu’il n’y a plus de frein, ce sont souvent des problématiques d’hyperactivité.
Dans les burn-out, il y a aussi beaucoup de rêves qui étaient annonciateurs.
Aujourd’hui, nous évitons beaucoup de surchauffes de clients par l’analyse de leurs rêves en amont.
Se connecter à son inconscient, en particulier à travers ses rêves, c’est une hygiène de vie, un art de vivre, comme par exemple pour éviter une crise cardiaque à 50 ans !
C’est avant tout une connexion à soi-même, mais pas sous une forme égoïste.
L’individuation nous apprend que plus on est connecté à soi-même, plus on est connecté au monde, au cosmos. Travailler sur ses rêves économise donc au final beaucoup de temps et d’énergie…

Et si un contradicteur vous dit “Ce n’est pas une démarche scientifique, rien n’est prouvé” ?

C’est vrai. Mais ce n’est pas parce que la science ne sait pas encore l’expliquer qu’il n’y a pas de résultats prouvés. Et puis il n’y a pas vraiment de réalité objective : le même événement sera perçu de manière différente par deux individus. Donc où est la science là-dedans ? Si ça permet à la personne de vivre mieux et de faire moins de dégâts autour d’elle, où est le problème ?
Pour la typologie jungienne de la personnalité, les neurosciences viennent confirmer les structures mentales que Jung, en bon INTP, avait visualisées. C’est là-dessus que travaille Dario Nardi, professeur en neurosciences à UCLA.

Si un esprit cartésien vous dit “Le rêve c’est le cerveau en roue libre, donc c’est du n’importe quoi, ça n’a pas de sens” ?

Je suis avant tout frappée par le terme «libre» (rires) : quand la roue n’est pas emprisonnée dans un carcan, elle permet d’accéder à d’autres niveaux de conscience auquel le cerveau rationnel ne peut pas accéder. Ça vous transfère dans d’autres dimensions.
Pour un esprit rationnel, le rêve peut faire très peur, parce que ça montre qu’on n’est pas uniquement ce que l’on croit être. Certaines personnes préfèrent continuer à en baver plutôt que d’aller explorer un inconnu en elles-mêmes. Alors qu’est-ce qui leur fait si peur ? Probablement que ça les obligerait à changer…

Pour finir, plus largement, que vous évoque à vous ce thème de la (Dé)Connexion, notamment en rapport avec l’inconscient ?

La connexion se fait en même temps à soi-même et à l’autre. Cette crise du coronavirus est un bon moment pour se reconnecter à soi-même. Pour certains c’est très facile, le confinement est vécu comme un moment privilégié. Pour d’autres, c’est une situation angoissante.
Dans cette actualité, je suis assaillie de vidéos et de textes qui pourraient m’empêcher de me reconnecter à moi-même si je n’y fais pas attention. Les Extravertis regorgent d’initiatives et de connexions, tandis que les Introvertis, on ne les entend pas.

Cette crise est un miroir grossissant. Et les réseaux sociaux, c’est beaucoup de réactivité rapide… C’est un moment où l’on se rend compte que nous avons beaucoup de ressources à l’intérieur de nous-mêmes. Nous vivons une expérience forcée, collective et individuelle, où l’on se rend compte que tout parle de soi.
Dans ces crises, il existe en nous des ressources inattendues, ne serait-ce que dans notre Ombre, au sens jungien du terme. Pour Jung, l’ombre, c’était un réservoir de possibilités, le « trésor caché ». Il n’y a qu’à creuser… <∫>

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