Connexions amoureuses et Sciences de la Personnalité
par Marie-Noëlle Borel.
Voilà (“enfin” diront certains) LE sujet qui nous passionne tous !
Quels types s’entendent le mieux, et pourquoi ?
Est-ce que les tests de compatibilité sont fiables ?
Quel profil me conviendrait le mieux ?
Il n’y a pas une session MBTI ou Ennéagramme où la question des relations amoureuses ne surgit pas… et pour cause.
Nous autres formateurs avons appris depuis longtemps comment maintenir ou relancer l’intérêt post-déjeuner de notre auditoire : une valeur sûre en session MBTI consiste à demander à nos participants des exemples de leur vie personnelle pour illustrer l’axe J/P (planification/flexibilité).
Voilà qui amène à coup sûr son lot de dénonciations conjugales face à la glaçante tragédie d’un frigo vide, de témoignages apocalyptiques de vacances familiales pourtant organisées 2 ans à l’avance, de secrets inavouables confiés par les Virtuoses de la Dernière Minute, ou de récits indignés des comportements de l’Ex Maudit(e)… le tout dans une atmosphère oscillant entre stupéfaction, compassion et hilarité.
Test, ô mon beau test, sommes-nous compatibles ?
Même les plus réfractaires aux modèles de personnalité – par exemple au motif qu’ils « enferment les gens dans des cases » – sont souvent prêts à discuter longuement du sujet de la compatibilité amoureuse entre deux personnes.
Les tests de personnalité constituent une porte d’entrée privilégiée dans le champ de la psychologie appliquée. Qu’on les adore ou qu’on les rejette, ils portent en premier lieu la promesse de mieux se comprendre, et de mieux comprendre les autres.
Ils offrent aussi une seconde promesse, plus fantasmée qu’explicite, sur la prédictibilité du comportement humain ainsi cartographié.
Il n’y a donc plus qu’un pas – vite franchi – vers cette conclusion enthousiasmante : les tests de personnalité permettraient aussi de prédire la réussite d’une relation entre deux partenaires.
70%, sinon rien.
Les professionnels de la rencontre amoureuse ne s’y sont pas trompés : la plupart des sites de rencontre – utilisés de manière très régulière par un quart des Français – ont investi ces dernières années dans le développement de tests et outils de matching, inspirés pour la plupart de modèles bien connus des psychologues (Big Five, Analyse Transactionnelle…).
Tous ces tests se déclarent bien évidemment « scientifiques », et la promesse est unanime : la connexion amoureuse idéale démarre à 70% de compatibilité.
Mais un test de personnalité réalisé en ligne, dans son canapé, avec tous les biais de passation que l’on peut imaginer, suffit-il à prédire l’alchimie de la connexion amoureuse ? « Tout de même, nous ne sommes pas que des cerveaux… » soufflent certain(e)s.
Les producteurs de l’émission Mariés au Premier Regard (M6, inlassable explorateur des recoins de l’âme humaine, de ses intérieurs à ses vêtements) en sont aussi convaincus.
Rappelons le principe de l’émission : Mariés au premier regard (plus de 2,5 millions de téléspectateurs), propose de marier des célibataires volontaires que la chaîne associe à l’aide d’un algorithme – les fameux 70% de compatibilité.
Mais qu’est ce que la compatibilité ?
Sans jamais se voir, les candidats passent une batterie de tests avant de se rencontrer… et se marier le jour-même ! Ces tests sont « psychologiques et sociologiques », bien entendu, « s’appuyant sur des études réalisées dans le monde » assure la productrice.
Mais on notera également le test plus original dit « du teeshirt » : le participant doit choisir son odeur préférée parmi plusieurs tee-shirts portés trois nuits d’affilée par le candidat du sexe opposé.
Le tee-shirt usagé !
Voilà enfin une innovation scientifique complémentaire à tous ces tests de personnalité qui devrait assurer une connexion parfaite !
Dans la réalité, il faut déchanter : seulement 15% de ces couples mariés “au premier regard” restent ensemble après l’émission.
La recherche scientifique est décidément un domaine bien ingrat.
Mettons de côté pour le moment le Graal du « taux de compatibilité supérieur à 70% » promis par les magiciens du matchmaking.
Dans la vraie vie, la plupart de nos relations de couple – ou toute autre type de relation interpersonnelle intime – s’articulent autour de 3 dynamiques principales : fusion, opposition ou complémentarité.
1 – La Fusion
Qui se ressemble s’assemble, on fait tout ensemble, chacun finit les phrases de l’autre, ton tee-shirt est mon teeshirt.
(Disclaimer : Cet article étant rédigé en pleine période de confinement, il est possible que de nombreux couples parmi nos lecteurs vivent depuis quelques semaines une relation plus fusionnelle que d’habitude. Courage.)
2 – L’Opposition
Nous sommes très différents, on nous décrit souvent comme chien et chat, c’est à la fois un stimulant et le moteur de notre relation, je hais ce tee-shirt et je le brûlerai avec délectation dès que tu auras le dos tourné.
3 – La Complémentarité
On se ressemble sur certains points, mais on a aussi des différences et des désaccords, c’est un équilibre changeant dans un projet commun, je veux bien tolérer ce tee-shirt immonde qui semble si important pour toi, à condition que tu ne le portes pas en public.
Chacune de ces dynamiques relationnelles se positionne sur un axe tension / harmonie, or c’est une position qui est elle-même rarement figée dans le temps.
Le critère du taux de 70% de compatibilité vanté par le matchmaking « scientifique » s’appuie donc sur la promesse d’une relation idéale (ou fantasmée comme telle), composée d’une majorité de fusion et d’une dose raisonnable de complémentarité.
En d’autres termes, la science du test de compatibilité minimiserait autant que possible les occurrences de tension, et donc d’opposition et de conflits.
Pourquoi ne pas viser la fusion, en effet !
Mais dans la vraie vie, combien connaissons-nous de couples (parfois durables…) fonctionnant essentiellement sur une dynamique d’opposition ? Combien avons-nous observé (ou vécu nous-mêmes…) de décisions apparemment « irrationnelles » dans le choix d’un(e) partenaire ? Une
relation de couple sans désaccords ou tensions peut-elle vraiment exister, et plus encore, durer ?
Les chercheurs en psychologie ne sont pas tous d’accord sur les chiffres, mais on estime que la part « stable » de notre personnalité (ou innée, car pré-déterminée par des facteurs génétiques et biologiques) représente environ 50% de celle-ci.
Dans une de nos publications (« La personnalité peut-elle changer ? »), nous avons abordé les raisons qui font changer l’autre moitié « évolutive » de notre personnalité :
- – des facteurs externes, comme l’environnement et l’empreinte familiale, l’histoire de vie, les expériences personnelles,
- – des facteurs internes, comme le processus d’individuation.
L’individuation, ce concept clé de la psychologie jungienne, décrit le chemin de découverte de soi et de réalisation personnelle.
En effet, nous commençons d’abord par grandir par assimilation : nous ajustons notre comportement en fonction des attentes de nos proches et de nos groupes sociaux, entre conformité et rébellion.
Puis l’individuation nous apprend à nous différencier et à “devenir qui nous sommes”, c’est-à-dire une personne unique.
On voit bien que mesurer la compatibilité entre deux personnalités présente les mêmes limitations que réduire une personnalité au résultat d’un test : ce n’est qu’une photo d’une situation à un instant T, et la compatibilité s’arrête à la partie « stable » de nos personnalités. Or une relation est vivante et elle évolue dans le temps…
En fait, bien plus que la compatibilité, c’est bien la qualité de la connexion qui se révèle essentielle :
- – d’une part, la connexion à soi, à ses besoins, ses désirs, ses projets, sa propre évolution personnelle,
- – d’autre part, la connexion à l’autre, à la manière dont il/elle change, et évolue aussi.
Les modèles de personnalité offrent une grille de lecture riche et précieuse pour une relation de couple :
- – mettre des mots sur la partie innée et stable de nos personnalités permet d’en comprendre les comportements visibles comme les motivations profondes,
- – explorer nos chemins d’évolution et de transformation à deux permet de s’ajuster à l’autre.
Un seul modèle de personnalité ne suffirait jamais à décrire le fonctionnement d’une personne, et encore moins d’un couple !
Notre expérience nous montre néanmoins que la combinaison des deux modèles les plus puissants et complexes que sont le MBTI et l’Ennéagramme permet de couvrir l’essentiel des dynamiques à l’œuvre dans une relation de couple.
Les apports du MBTI : comprendre et ajuster les comportements visibles dans une relation de couple.
Les préférences jungiennes : une question de confort
La littérature MBTI abonde en études et conseils (parfois contradictoires) sur le sujet de la compatibilité amoureuse.
Rappelons que le MBTI se fonde sur la notion des préférences jungiennes, et donc qu’il cartographie une synthèse de « comportements confortables » pour l’individu : c’est la manière de fonctionner qui lui permet d’atteindre le meilleur résultat possible en consommant le moins d’énergie possible.
Les praticiens utilisant MBTI et Ennéagramme en combinaison estiment que le profil MBTI couvre environ 35% des mécanismes de la personnalité.
Par la justesse de ses descriptions, le profil MBTI est souvent une révélation pour les personnes qui découvrent les modèles de personnalité.
C’est aussi un véritable défi pour les praticiens que de convaincre les nouveaux enthousiastes que :
- – ce profil MBTI n’est pas si facile à identifier chez les autres,
- – ce profil MBTI n’est en aucun cas prédictif des comportements : la plupart d’entre nous ont appris dès l’enfance à nous adapter à différentes situations.
Ainsi un enfant Introverti élevé dans une famille à dominante Extravertie apprendra très rapidement à se comporter de la manière attendue et valorisée par ses proches, qui représentent son premier groupe social de référence. A l’âge adulte, cette personne ne sera pas devenue Extravertie, mais elle en aura acquis les codes, et pourra les utiliser, comme une seconde langue.`
Plus spécifiquement, les praticiens MBTI amenés à travailler avec des couples font les constats suivants :
- – aucune combinaison de profils n’est impossible, ni vouée à l’échec, même s’ils sont opposés. En tant qu’outil comportemental, le MBTI est une véritable école de la complémentarité dans les relations interpersonnelles, à commencer par le couple et la famille !
- – des préférences communes sont à première vue plus confortables pour le quotidien d’un couple. Soirées Netflix tranquilles chez les I, ou dîners à 6 minimum chez les E, tant il est vrai que préférer les mêmes choses réduit les risques de tension.
Mais un individu ne peut utiliser uniquement ses préférences naturelles, car cela se fera au détriment de son développement personnel et de sa maturité.
De même, un couple devra aussi utiliser ses préférences opposées pour interagir avec le reste du monde…
On observe souvent que l’un des deux partenaires va alors prendre la responsabilité de compenser, en exerçant plus souvent sa préférence opposée.
Ainsi, dans un couple de P préférant la flexibilité et la dernière minute, l’un des deux devra faire du J pour que la famille soit à peu près fonctionnelle / le frigo rempli / les enfants scolarisés et inscrits à des activités. Des préférences similaires peuvent donc aussi devenir sources de tensions. - – les préférences pourraient ne pas être égales en « potentiel irritant » : certains praticiens affirment que les oppositions E/I et J/P seraient les plus irritantes au quotidien, car ce sont des orientations de l’énergie.
Paradoxalement, les dimensions S/N et T/F étant des fonctions cognitives, il serait plus facile de les réguler / négocier / ajuster dans une relation de communication – exactement comme dans une équipe professionnelle. - – enfin l’âge est un facteur important : la personnalité jungienne est le résultat d’une activation successive des fonctions dominante, auxiliaire, tertiaire et inférieure tout au long de la vie – c’est ce fameux processus d’individuation.
Ainsi un partenaire ENFP de 25 ans manifestera potentiellement davantage de comportements liés à sa fonction dominante – l’Intuition Extravertie, caractérisée par une propension à faire jaillir un flot d’idées nouvelles quasiment en continu, alors que le même ENFP de 50 ans sera probablement dans une phase d’intégration progressive de sa fonction inférieure, très peu explorée en première partie de vie – la Sensation Introvertie, caractérisée par une attention accrue aux détails et aux expériences sensorielles du présent.
Les apports de l’Ennéagramme : décoder les motivations profondes.
Complémentarité ou tension ?
Les praticiens Ennéagramme travaillant régulièrement avec des couples font les constats suivants :
- – les combinaisons les plus fréquentes : une aile ou une flèche.
Ainsi une base 2 aura tendance à être attirée par un partenaire en base 1 ou 3 (ses “ailes”), ainsi que 4 ou 8 (ses “flèches”). Ou… par toute autre base, bien entendu !
On peut poser l’hypothèse qu’être en couple avec son “aile” prédispose davantage à une relation basée sur la complémentarité.
A contrario, être en couple avec sa “flèche” peut amener une tension plus fréquente dans la relation : chaque base représentant en effet une direction potentielle d’intégration ou de désintégration de l’autre, il n’est pas rare que ces couples se construisent sur un mode de fascination réciproque. - – les couples durables de la même base sont rares… mais pas impossibles. Là encore, on peut poser l’hypothèse que chacun renvoie à l’autre en effet miroir ses propres manifestations inconscientes de défense et de réactivité instinctive… un peu trop proches pour être confortables ?
Et le mystère dans tout ça ?
Il y a quelques années, la presse s’est emballée autour des « 36 questions pour tomber amoureux », suite à un article publié dans le New York Times.
Mandy Catron, jeune professeure de littérature, raconte comment elle s’est emparée d’un questionnaire issu des travaux du psychologue Arthur Aron, pour l’essayer avec un collègue « qu’elle connaissait à peine » (ce questionnaire n’abordait pas, hélas, le sujet du tee-shirt).
Vous devinez la suite ? Ils sont tombés amoureux.
Depuis lors, Arthur Aron a remis les pendules à l’heure, en précisant que l’objectif de ce questionnaire n’était pas d’être une recette magique pour trouver l’amour… mais plutôt d’étudier la manière dont on établit une relation de confiance et de proximité avec quelqu’un d’autre.
Dans un interview au Monde, il indique notamment :
« Ces 36 questions visent à se dévoiler dans son intimité, dans sa vulnérabilité. L’idée, c’est de dire que pour créer une relation « proche » avec quelqu’un, l’une des clés est de rentrer dans un processus de dévoilement intime, progressif, et réciproque. »
Alors que conclure ?
Comme dans bien des domaines, nous confierons le mot de la fin à l’intemporelle sagesse de Carl Gustav Jung :
« La rencontre de deux personnalités est comme le contact
entre deux substances chimiques ; s’il se produit une réaction,
les deux en sont transformées. »
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